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La mort chez les pères de l'Eglise

Publié le par Bruno Gaudelet

La mort chez les Pères de l’Église

La mort chez les Pères de l’Église
Irénée de Lyon situait le paradis au ciel
© Pascal Deloche / GODONG

Dans la première partie du deuxième siècle de l’ère chrétienne, alors que le mouvement chrétien s’était déjà transplanté de son terreau originel juif au sein de la culture gréco-romaine, une entreprise immense de défense et de valorisation de la foi chrétienne se développa grâce au courage et à la plume de ceux que l’on appelle les Pères apologistes.

À LIRE

Herméneutique des discours chrétiens sur la mort et l’au-delà
de l’antiquité à la modernité

Bruno Gaudelet

Presses universitaires de Perpignan, 2009.

 

 

Héritiers de l’univers eschatologique du Nouveau Testament et de la littérature intertestamentaire, les apologistes mirent la croyance en l’éternité de l’âme, soit pour la « vie éternelle », soit pour la « seconde mort », au centre de l’espérance chrétienne. Le retard de la parousie obligeait cependant les Pères à prendre en compte le temps de l’Église sur la terre avant le jugement final et donc la durée intermédiaire des âmes en attente de leur destinée finale. Passant dès lors de la croyance au retour imminent du Seigneur des évangiles à l’attente d’un royaume à venir, les Pères se devaient de préciser ce qu’il advenait des âmes après la mort. Où allaient-elles ? Quelle était leur situation dans l’attente du jugement ? Les justes jouissaient-ils déjà du paradis et les méchants souffraient-ils déjà de l’enfer ?

 

Irénée et Tertullien

 

Formés à l’école des philosophies grecques, les apologistes appartenaient à l’élite intellectuelle de leur temps. L’adaptation de la géographie chrétienne de l’au-delà au monde gréco-romain leur était d’autant plus aisée que celle-ci leur semblait tout à fait converger avec l’arrière-plan des mythologies paradisiaques et infernales de l’orphisme et de l’hellénisme. Parmi les Pères qui ont particulièrement compté dans le processus d’adaptation de l’eschatologie chrétienne au monde gréco-romain, il faut citer Irénée de Lyon (120/130-202) et Tertullien l’africain (150/160-220).

 

Dans son Contre les hérésies, Irénée de Lyon reprend la géographie de l’au-delà de la parabole du riche et du pauvre Lazare et la combine avec différents textes de l’Ancien et du Nouveau Testament. Selon lui, le paradis correspond au jardin d’Éden où l’homme a été modelé et que Dieu a placé du côté de l’Orient. Puisque Paul dit avoir été ravi au troisième ciel (2 Co 12,4), ce paradis, où Énoch et Élie ont été transportés, de même que les justes et les martyrs, n’est plus à présent sur terre. La localisation du paradis originel restera cependant en débat tout au long de la chrétienté. Certains suivront Irénée pour situer le paradis au ciel. D’autres opteront pour la thèse d’un paradis situé sur terre, mais sur le sommet d’une montagne aussi élevée qu’inaccessible. Pour Irénée, seuls les saints et martyrs sont transportés au paradis où séjournent le patriarche Énoch et Élie. Les autres croyants sont reçus au séjour des morts, dans les lieux inférieurs de la terre (en latin ad inferna). En ces lieux, une place leur est assignée en fonction de leurs mérites dans l’attente du jugement dernier. Lorsque la consommation des temps sera accomplie et que le jugement dernier sera prononcé, les justes seront transportés, selon leur degré de mérite, dans différentes demeures célestes dont la plus haute correspond au Paradis-Éden. Concernant l’enfer, Irénée est moins prolixe. Il ne semble pas que l’évêque de Lyon ait envisagé une graduation dans la réprobation éternelle selon le degré de perversité des pécheurs. Le feu éternel est préparé pour le diable et les anges et les hommes qui l’ont suivi dans l’apostasie.

 

Avec Tertullien, les correspondances entre le paradis et l’enfer des chrétiens et les Champs Élysées et le Tartare des Grecs sont clairement relevées. S’il y a similitude, c’est tout simplement parce que les Grecs ont copié sur la Révélation confiée aux auteurs bibliques, assure Tertullien. Que se passe-t-il donc pour les âmes lorsque la mort survient ? Tertullien s’accorde ici avec Irénée pour dire qu’à l’exception des martyrs, les âmes demeurent aux enfers jusqu’au jour du Seigneur. Personne ne jouit immédiatement de la béatitude, si ce n’est le martyr qui va directement au paradis. Si les lieux d’attente des âmes se trouvent en enfer, cela signifie-t-il que les âmes des chrétiens éprouvent de la peine ? Pour Tertullien, bien qu’il ne soit pas céleste, le lieu d’attente des âmes chrétiennes est cependant supérieur à celui des âmes réprouvées. L’âme du chrétien jouit en outre d’un rafraîchissement, et est réconfortée par l’espérance de la Résurrection, tandis que celle du pécheur a un avant-goût de sa condamnation à venir. Aussi, bien que la félicité bienheureuse et le châtiment éternel demeurent des réalités futures, les âmes en attente ont déjà un avant-goût de leur félicité ou de leur peine à venir. Les Pères postérieurs, latins ou orientaux, reprendront cette représentation de l’au-delà avec différentes tonalités, mais les grandes lignes du paradis et de l’enfer sont désormais acquises avec Irénée et Tertullien.

Origène et Éphrem de Nisibe

Origène a opéré une rupture en affirmant que la réprobation ne sera pas éternelle mais qu’à la fin des temps tout sera récapitulé en Dieu. C’est la théorie de l’apocatastase qui se fonde sur le verset qui dit qu’à la résurrection tout sera soumis au Christ afin que Dieu soit tout en tous (1 Co 15,28). Éphrem de Nisibe est resté pour sa part dans une pastorale de la peur : « Là [en Enfer] les yeux de ces heureux convives ne brilleront plus de joie ; là le visage de ces légers danseurs sera couvert d’une effrayante pâleur ; là les douleurs aiguës et la faim dévorante tourmenteront ceux qui boivent maintenant le vin au son de la harpe et des flûtes ; là grinceront des dents ; là, pleureront, en proie à d’atroces douleurs ; là se frapperont le visage les fornicateurs, les adultères, les voleurs, les homicides, les devins, les sorciers, les enchanteurs, et ceux qui corrompent l’enfance, et ceux qui se livrent à d’horribles voluptés, et les ravisseurs des biens d’autrui, et tous les hommes de sang : tous ces pécheurs et tous ceux qui leur ressemblent, tous ceux qui mourront dans l’impénitence finale, tous ceux qui marchent dans la voie large et spacieuse de la perdition, seront éternellement renfermés dans ces épouvantables demeures. » Les fêtards et bons vivants devaient sans doute être quelque peu « étonnés » de se retrouver au même rang que les meurtriers et les dépravés. Calvin n’avait rien inventé en censurant la danse, le jeu et les trop joyeuses libations.
B. G.

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