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Le cerveau et l'âme

Publié le par Peter Clarke

PETER CLARKE Pour ce neuroscientifique chrétien, la science ne s’oppose en rien aux propos théologiques. Au contraire, leur interaction débouche sur la notion d’« âme incarnée ».

"Le cerveau et l’expérience consciente, une même réalité"

En apprenant que je suis neuroscientifique et chrétien, les gens sont parfois surpris et me demandent si mes connaissances en neuroscience ne posent pas de problème pour ma foi. Je réponds que non car la science et la religion (ou la théologie) abordent des questions complémentaires qui se situent à des niveaux différents. De même que l’étude de la chimie de l’encre ne contredit pas les propos dans un texte, la science ne contredit pas les propos théologiques. La science traite la question du fonctionnement de la nature (y compris le cerveau de l’homme) tandis que la théologie s’attache plutôt à la question de la relation de l’homme avec Celui qui est au-delà de la nature.

 

Je rencontre parfois des gens (souvent des chrétiens, mais aussi des athées ou des agnostiques) qui pensent que la neuroscience est une exception, pour la raison précise qu’elle contredit ce qu’ils considèrent être la doctrine chrétienne de l’âme. Ces gens ont dans l’idée que tous les chrétiens doivent accepter une notion particulière de l’âme, celle de Descartes. Son influence a été tellement importante sur la philosophie occidentale que, de la fin du XVIIe siècle jusqu’au milieu du XXe siècle, la plupart des Occidentaux, et même les scientifiques, qu’ils soient croyants ou athées, ont accepté le dualisme cartésien selon lequel le cerveau serait une machine influencée par une âme séparée et immatérielle.

 

Dualisme cartésien

 

Le climat intellectuel a changé radicalement depuis les années 1950. À l’époque actuelle, très peu de spécialistes soutiennent le dualisme cartésien : les neurobiologistes le rejettent à cause du manque de soutien expérimental, et les philosophes du fait de la difficulté à concevoir comment une entité immatérielle peut interagir avec un objet physique.

 

Parmi les neurobiologistes, Sir John Eccles, prix Nobel, a été un des rares défenseurs du dualisme cartésien pendant la seconde moitié du XXe siècle. Pour expliquer comment une entité immatérielle pourrait affecter un cerveau sans contredire aux lois de la physique, il faisait appel à des notions, issues de la physique quantique, selon lesquelles le monde est légèrement flou au niveau d’échelle le plus fin. Selon lui, un « soi » (ou esprit, ou âme) immatériel agissait sur les connexions entre les neurones dans certaines régions du cortex cérébral en produisant des effets si petits qu’ils seraient « cachés » dans le flou de la physique quantique et ne contrediraient donc pas aux lois physiques. Mais la plupart des spécialistes rejettent ces idées, car le flou quantique est beaucoup trop petit pour affecter les liens moléculaires les plus faibles et ne devrait donc pas influencer le fonctionnement des neurones.

 

Est-ce que l’abandon du dualisme cartésien pose un problème au chrétien ? Je crois que non ! En effet, depuis les années 1950, la plupart des théologiens chrétiens le rejettent aussi, en raison des avancées dans la compréhension de nombreux textes bibliques qui ont développé une conception moniste de l’homme. Par exemple, dans l’Ancien Testament, le mot hébreu nephesh, qui est parfois traduit par « âme » en français, exprime généralement la notion de vie ou de vitalité, qui est bien différente de l’idée d’une âme platonicienne ou cartésienne. Également, le mot traduit par « esprit » (ruah) veut dire souffle ou vent, ou parfois intelligence ou vitalité. Le dualisme n’est pas impliqué par ces mots. En 1958, le théologien anglican Austin Farrer critiqua vigoureusement les conceptions dualistes d’Eccles (lui aussi chrétien) : «Nous n’aurons rien à faire avec la suggestion fantastique, que les “réacteurs” supersensitifs du cortex réagissent à l’initiative d’une âme quasiment désincarnée. Mais à quoi, en ce cas, pouvons-nous dire qu’ils réagissent ? À quoi d’autre qu’aux motions de l’âme incarnée, c’est-à-dire aux autres motions du même système nerveux ? » (A. Farrer, On the Freedom of the Will, Londres, Black,1958).

Cette volte-face théologique n’a pas été entièrement révolutionnaire, car la tradition théologique découlant de Thomas d’Aquin a toujours favorisé une conception plus proche du monisme que du dualisme. Pour lui, suivant la tradition aristotélicienne, l’âme n’était pas une entité séparée qui agissait sur le corps, mais un principe intégré dans le corps, en d’autres mots « l’âme incarnée » que citait Farrer. Parmi les protestants, le pasteur et scientifique Joseph Priestley (XVIIIe siècle) rejetait le dualisme comme contamination du christianisme biblique par la philosophie platonicienne.

 

« Le monisme à double aspect »

 

Même si le dualisme de Descartes (et de Platon) est presque universellement rejeté par les théologiens chrétiens, cela ne veut pas dire qu’il faille abandonner toute notion de dualité corps-esprit. Diverses positions sont défendues par les philosophes (chrétiens ou pas). À une extrême, les matérialistes durs rejettent la notion même de l’esprit (ou du mental), en affirmant que la seule réalité est matérielle. Leur position me semble difficlement tenable, car ma connaissance des choses matérielles est secondaire au fait que j’en suis conscient. Comme beaucoup de neuroscientifiques chrétiens, je favorise une position intermédiaire entre les deux extrêmes du matérialisme dur et du dualisme cartésien, le « monisme à double aspect ». Cette position affirme que le cerveau, objectif, et l’expérience consciente, subjective, sont deux aspects de la même entité. Les deux sont réels, mais au lieu d’être des entités séparées qui interagissent, ils composent deux aspects d’une seule réalité.

 

On peut se demander si cette conception est compatible avec la doctrine chrétienne d’une vie après la mort. Je crois que oui, car le Nouveau Testament n’enseigne pas une âme qui flotte comme un fantôme au ciel, mais la résurrection du corps. Prenons une analogie. Un programme informatique est physiquement une partie de l’ordinateur, pas une entité séparée ; mais il pourrait être installé dans un autre ordinateur. De même façon, mon âme « incarnée » fait partie actuellement de mon corps ; mais, après ma mort, Dieu pourrait la réinstaller dans un nouveau « corps spirituel » pour adopter la terminologie biblique (1 Co 15,44). Je trouve cette analogie utile, mais toute analogie n’est pas parfaite. Par exemple, elle ne tient pas compte de « l’état intermédiaire », le temps entre la mort et la résurrection finale.

 

Bien que les résultats des neurosciences soient difficiles à réconcilier avec le dualisme cartésien, ceci ne nous oblige pas à abandonner toute notion d’âme. La conception plutôt moniste de la relation corps-esprit que l’on trouve dans la Bible n’est aucunement contredite par les neurosciences. Comme chrétien et scientifique, j’ai confiance dans le fait que l’Écriture et la science expérimentale ne peuvent se contredire, car, pour citer une lettre que Galilée à écrite à Christine de Lorraine en 1615, « l’Écriture Sacrée et la nature procèdent également du Verbe divin, celle-là comme dictée par l’Esprit Saint et celle-ci comme exécutrice très fidèle des ordres de Dieu ».

 

 

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