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Le purgatoire

Publié le par Bruno Gaudelet

L’avènement du purgatoire

L’avènement du purgatoire
Le « purgatoire » apparaît en tant que lieu défini seulement vers la fin du XIIe siècle
© Fred de Noyelle / GODONG

Comme le souligne Jacques Le Goff dans son livre sur le sujet, l’idée d’un lieu purgatoire n’est pas advenue ex nihilo dans les esprits du XIIe siècle. Parmi les facteurs théologiques, politiques et culturels qui ont présidé à l’élaboration du purgatoire, il faut distinguer quatre problématiques qui ont fait leur chemin au fil des siècles.

À lire

Herméneutique des discours chrétiens sur la mort et l’au-delà
de l’antiquité à la modernité

Bruno Gaudelet

Presses universitaires de Perpignan, 2009

 

 

La première concerne la question du salut. Les chrétiens en marche vers la grande Église sont passés d’une prédication du salut entièrement gratuit à la proclamation d’un salut mérité en récompense d’une vie sainte ou d’une mort martyre. Tertullien, décédé en 220, donne un exemple de cette évolution lorsqu’il déclare dans son traité sur Le témoignage de l’âme : « Nous affirmons que tu subsistes après ta séparation d’avec le corps et que tu attends le jour du jugement, destiné, d’après tes mérites, à un supplice ou à un rafraîchissement, l’un et l’autre sans fin. » Le passage de la foi en la suffisance de la grâce à la nécessité d’acquérir des mérites a conduit la théologie chrétienne à établir un système de type juridique capable d’évaluer la gravité des fautes et ouvrant des possibilités pour les racheter.

 

Souffrance purificatrice

 

La deuxième problématique a commencé avec la question du pardon des péchés après le baptême. Le baptême étant compris par les Pères comme la purification spirituelle du baptisé, que fallait-il penser des péchés commis après le baptême ? La pénitence, fondée sur la croyance que la souffrance possède un pouvoir expiateur et purificateur, devint la voie naturelle du pardon. Par ailleurs, l’idée qu’en raison de la communion des saints les vivants pouvaient participer aux souffrances et donc à l’expiation des fautes des âmes défuntes entra parallèlement dans les esprits. Cette mutation est attestée au début du IIIe siècle chez Tertullien comme au sein de la littérature édifiante (voir par exemple la Passion de Perpétue et de Félicité). Elle fut ensuite formulée de façon officielle du côté des Pères orientaux par Cyrille de Jérusalem (315-387) dans sa Catéchèse mystagogique et par Jean Chrysostome (344/349-407). Puis du côté des Pères latins par saint Augustin (354-430) dans le troisième livre de La Cité de Dieu.

 

La troisième problématique concerne la justice divine et la réalité spirituelle de la chrétienté. Si les justes sont promis au paradis et les mauvais à l’enfer, que faire de ceux qui ne sont ni tout à fait bons, ni tout à fait mauvais ? Dieu étant un Dieu juste, il ne peut traiter ceux qui ne sont pas tout à fait mauvais comme les mauvais, ni ceux qui ne sont pas tout à fait bons comme les bons. La nécessité de catégories intermédiaires pour accueillir les non tout à fait bons et les non tout à fait mauvais s’imposait, comme pour toute justice pénale digne de ce nom. Or, vu que la christianisation de l’Occident (qui n’était pas tout à fait achevée autour de l’an mille) s’est opérée davantage pour les raisons politiques des puissants que par la franche conversion des populations, les catégories des ni tout à fait bons et des ni tout à fait mauvais correspondaient à la situation générale des peuples qui étaient loin de satisfaire les exigences éthiques et spirituelles de l’Église. L’élaboration d’un système où les ni tout à fait bons pouvaient espérer la rédemption et où les ni tout à fait mauvais moins de sévérité que la peine capitale de l’enfer s’imposait pour une religion qui convertissait les populations par le biais des accords politiques et au moyen du baptême.

 

Enfin, quatrième problématique, outre les raisons théologiques qui ont fait advenir le purgatoire, il faut aussi prendre en compte la correspondance qui s’est établie peu à peu au sein de l’Occident chrétien entre le monde temporel et le monde spirituel. Dieu étant un Dieu juste, sa justice doit s’appliquer sur la terre comme au ciel et réciproquement. La justice divine, enseignée par le pouvoir spirituel, se projeta tout naturellement sur la justice temporelle qui se voulait fidèle à Dieu et vice versa. Le modèle juridique de la société médiévale se projeta sur la représentation de la justice divine. Ce jeu d’influence mutuelle entre la justice temporelle et la justice spirituelle se vérifie en d’autres lieux théologiques. Le siècle qui affirme doctrinalement le purgatoire est aussi celui où s’établit la théorie de la satisfaction d’Anselme de Cantorbéry qui interprète la mort du Christ précisément à partir des catégories pénales du Moyen Âge.

 

Le « purgatoire » apparaît en tant que lieu défini seulement vers la fin du XIIe siècle. Jusque-là, les Pères et les docteurs parlaient de « peines » ou de « feu » purgatoire. Le tournant est pris vers 1170 avec Pierre le Mangeur et Odon d’Ourscamp qui utilisent pour la première fois le substantif « purgatoire ». Les docteurs scolastiques n’auront de cesse de définir ce troisième lieu de l’au-delà chrétien.

Le purgatoire, un instrument de pouvoir

À qui profita le purgatoire ?, demande Jacques Le Goff dans son livre.

Selon lui, aucun doute n’est possible : c’est l’Église d’Occident qui tire des immenses avantages de l’introduction du purgatoire dans la géographie de l’au-delà. L’Église, écrit-il, « au sens ecclésiastique, clérical, tire un grand pouvoir du nouveau système de l’au-delà. Elle administre ou contrôle des prières, des aumônes, des messes, des offrandes de toutes sortes accomplies par les vivants en faveur de leurs morts, et elle en bénéficie. Elle développe, grâce au purgatoire, le système des indulgences, source de grands profits de puissance et d’argent ».

Sans aller jusqu’à dire que les cadres de l’Église du Moyen Âge ont agi par calcul bassement matériel, il est certain qu’historiquement le purgatoire permit à l’Église d’Occident d’étendre son pouvoir et son contrôle sur des populations effrayées par l’idée religieuse d’une punition éternelle.

Posséder de la puissance sur l’au-delà, c’est posséder de la puissance sur les vivants qui redoutent l’au-delà.

Les imaginaires de l’au-delà – qu’ils soient de facture religieuse, superstitieuse ou paranormale – ont toujours été des instruments de pouvoir et ont contribué à affermir la crédibilité et la stature, bien terrestres, de ceux qui en détiennent prétendument les clefs.
B. G.

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